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Gares ferroviaires et stratégies d’aménagement

n° 16 - 2021

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(Ré)aménagement des gares métropolitaines, entre rationalités urbaines et économiques


La participation des nouvelles dynamiques commerciales à la recomposition des gares et quartiers de gare en Bretagne - Pays de la Loire

The participation of new commercial dynamics in the transformation of stations and station districts in Bretagne - Pays de la Loire


Arnaud GASNIER*, Stanislas CHARPENTIER** & Louis-Thibault BURON***
Laboratoire Espaces et Sociétés (ESO Le Mans), Le Mans Université

Résumé

     L’activité commerciale demeure un miroir territorial et un levier aménagiste qui permet de suivre les mutations fonctionnelles des quartiers de gare partagées entre leur mise en tourisme, leurs développements résidentiels et tertiaires (bureaux, équipements publics, services commerciaux). Alors que les processus politiques et opérationnels à l’œuvre et que les stratégies territoriales d’un nombre croissant d’acteurs concourent à transformer plus ou moins radicalement la gare et son quartier durant cette dernière décennie (partie I), la mesure des effets de la Ligne à Grande Vitesse Bretagne – Pays de Loire (LGV BPL) à travers le prisme du commerce indique que la revalorisation socio-économique des villes observées dans l’ouest de la France apparaît contrastée et différenciée (partie II).


Mots-clés

Commerce, Régénération urbaine, Centralité, Stratégies d’acteurs.

Abstract

     Retailing provides a territorial mirror and can be used as a planning lever able to observe functional changes of station districts, shared between their promotion of tourism, their residential and tertiary developments (offices, public facilities, commercial services). While the political and operational processes at work, as well as the territorial strategies of a greater number of actors, have contributed to the more or less radical transformation of the station and its district over the last decade (part I), the measurement of the Brittany-Pays de Loire High Speed Line effects (LGV BPL) through the prism of commerce indicates that the socio-economic revaluation of the cities observed in western France appears to be contrasted and differentiated (part II).

    With varying degrees of vigor, the three case studies demonstrate station districts processes generalization of economical regeneration and diversification. On the retail level, the economic and urban effects of the HSR remain contrasted in the station districts. It should be noted that there is no complete Parisian mimicry due to the singular regional and local geographical contexts, different planning issues and thus different variations of the Parisian station transformation model. The concentration of new specialist shops in the Rennes station, the rehabilitation and modernization of facades and stores in front of and near the redeveloped station forecourts in Rennes and Saint-Malo, confirm the positive effects of the high-speed line in terms of regional metropolization and reinforced centrality. In contrast, the redevelopment of Le Mans station has been slow and discontinuous over the last 30 years. With the exception of the upmarket hotels in front of the station, the problem of many empty retail units in front of the forecourt and the low number of new shops set up in the station, illustrate the case of an old district revaluation resulting from the first TGV generation in the 1990s whose business center still remains very monofunctional today.

Keywords

     Retailing, Urban regeneration, Centrality, Stakeholder strategies

Introduction

    Cet article s’inscrit dans le cadre des travaux menés par le groupement constitué de Setec[1] et le laboratoire Espaces et Sociétés (ESO) en charge de l’animation de l’Observatoire Socio-Économique de la Ligne à Grande Vitesse Bretagne – Pays de la Loire (LGV BPL), mis en place en 2012 par Eiffage Rail Express (ERE) pour une durée de dix ans. Ce dernier vise à évaluer les effets économiques, sociétaux et territoriaux de Lignes à Grande Vitesse sur les territoires concernés au regard, ici, des dynamiques de chalandise observées in situ[2].

    En effet, l’activité commerciale demeure un miroir territorial et un levier aménagiste qui permet de suivre les mutations fonctionnelles des quartiers de gare. Jean-Pierre Wolff souligne à juste titre que les gares, « au départ enclaves fermées et repliées sur elles-mêmes, (…) s’ouvrent à la ville et à la vie avec leurs multiples facettes sociales et économiques. Ces lieux de transit se doublent ainsi d’espaces économiques (commerces, bureaux, services aux voyageurs...). Ce métissage entre la gare et la ville répond à un faisceau diversifié mais convergent d’intérêts, portés par les propriétaires des gares, les grands opérateurs de transports (ferroviaires et urbains) et les groupes économiques (et plus spécifiquement commerciaux) » (Wolff, 2018 : 13) dont « L’ambition est d’en faire de véritables centralités urbaines, des « city boosters » » (Ropert, 2017 ; Pilat, 2018), concept interne à SNCF Gares & Connexions mobilisé un temps pour définir sa stratégie de diversification fonctionnelle et d’ouverture sur la ville. Au-delà de l’instrumentalisation entrepreneuriale traduite, l’hypothèse formulée ici est que ces transformations ne sont pas indépendantes les unes des autres mais font actuellement système, en ce sens que ces différents processus, liés entre eux, se renforcent mutuellement. C’est ce qui explique l’ampleur des mutations à l’œuvre et leur puissance transformatrice sur des quartiers en plein bouleversement.

    Deux processus conjoints sont donc entrés en interaction : la modernisation (stratégies d’acteurs nombreux) et l’ouverture croissante de la gare sur la ville, grâce en particulier au commerce, et, simultanément, la redynamisation de son quartier qui participe à son tour au succès de l’opération de régénération économique de la gare (partie I).

    Nous supposons aussi que la mise en service de la Ligne à Grande Vitesse Bretagne – Pays de la Loire en juillet 2017 a été un vecteur d’amplification de mouvements de restructuration des gares et quartiers de gare enclenchés dans le cadre d’opérations de renouvellement urbain d’ampleur variable. Ces mutations à l’œuvre dans les gares et leurs quartiers se sont accélérées avec la grande vitesse ferroviaire, enclenchant directement ou indirectement des dynamiques multiformes de régénération commerciale (partie II).


[1] https://www.setec.fr/ Contact : Lionel Bertrand, Directeur de Projets.

[2] https://www.lgvbpl.com/home/integration-territoriale/lobservatoire-de-la-lgv-bpl.html

I. LE COMMERCE DANS LE CONTEXTE D’UN RENOUVELLEMENT URBAIN GENERALISE DES QUARTIERS DE GARE


    Le commerce, par la fonction économique et le levier aménagiste qu’il représente, permet d’approcher les opérations de renouvellement des gares et quartiers de gare par la caractérisation des démarches de régénération appliquées in situ d’une part, et celle des acteurs impliqués dans le cadre d’une nouvelle gouvernance de projet, d’autre part.



a. Vers un urbanisme de projet où la gare devient multifonctionnelle et notamment lieu de chalandise


     La gare et ses abords se muent à la fois en espace multiconnecté et en lieu de vie multifonctionnel dans une logique de projet urbain (Bellet Sanfeliu & Santos Ganges, 2016). Hier simples lieux de transit et de travail (pour les cheminots et les industries manufacturières associées), les gares et leurs alentours deviennent peu à peu des lieux de services plus ou moins liés au transport (Bertolini, 1996 ; Terrin, 2011 ; Lavadinho, 2012) et aujourd’hui de nouveaux espaces marchands. Désormais, voyageurs, chalands et nouvelles populations résidentes se croisent dans ces lieux hybrides complexifiés (Kokoreff, 2002 ; Desbouis, Médeville, 2002). Le sociologue et anthropologue Isaac Joseph (1999) a déjà montré comment ces « pôles d’échange » se muent en galeries marchandes et en lieux d’interaction sociale (Joseph, Kaminagai & Amar, 1999). Ainsi, comme le soulignent Roseau et Baron-Yelles (2016), la gare, « matrice des villes », « accueille des usages qui n’ont pas spécifiquement à voir avec la finalité ferroviaire, mais procèdent de son rôle d’attracteur », ce qui lui confère un rôle de « place urbaine » et notamment de nouveau pôle commercial.

     Ces territoires ferroviaires en transformation impliquent un partenariat public-privé innovant au sein d’une gouvernance nouvellement mise en place dans laquelle de nouveaux cœurs de métiers et de nouveaux savoirs faire apparaissent : l’immobilier de gare doit répondre aux concepts en expérimentation des distributeurs in situ, les enseignes en gare ont besoin de s’adapter aux clientèles de plus en plus diversifiées, à l’hybridation commerciale qui nécessite une vente omnicanale efficace et lisible (Baron, 2016 ; Baron & Hasan, 2016), etc.


Des processus de revalorisation économique favorables au renouvellement des gares

     L’activité commerciale est autant un moteur qu’un miroir des mutations en cours, dans le cadre d’une marchandisation de la ville définie comme le renforcement du commerce dans la fabrique urbaine, processus qui gagne de plus en plus de villes européennes (Gasnier, 2007, 2015). Trois effets, directs et indirects, de la LGV sur le commerce peuvent être identifiés :

- l’effet d’une centralité multiscalaire en émergence dans ces quartiers, plus ou moins dépendante des gares, renforçant les centres-villes et/ou les centres des quartiers renouvelés par de nouvelles fonctions résidentielles et/ou marchandes (Bentayou, 2015) ;

- l’effet de requalification urbaine, de montée en gamme des services et d’anomalisation de l’offre commerciale ;

- l’effet d’accessibilité multiscalaire, optimisé par les stratégies d’implantation des nouveaux formats physiques, numériques et hybrides du commerce et des services marchands ainsi que des nouveaux circuits logistiques de la distribution en gare.

     En premier lieu, les implantations commerciales en cours ou en projet dans les gares ou sur leurs parvis participent aux processus actuellement observés de concentration de l’offre, de diversification des enseignes et de spécialisation des branches d’activités auxquels coopèrent les nouveaux agrégats de commerces et de services positionnés entre les réseaux de transport des pôles d’échanges multimodaux et les quais d’embarquement ferroviaire. De nouvelles formes de centralité de quartier émergent dans le cadre de grands projets de renouvellement urbain où l’activité commerciale occupe désormais une place déterminante mais variable selon la position de la ville dans la hiérarchie urbaine (Desjardins, Maulat & Sykes, 2014 ; Liu & Ye, 2019). Tout d’abord, le modèle d’hybridation urbaine des gares parisiennes qui transforme les halls d’attente en centre commercial, lieu d’exposition, de travail (coworking, services aux particuliers, bureaux), place de marché, pôle de marketing touristique, etc. tend à se reproduire dans les métropoles régionales (Rennes, Nantes). La ville et son commerce « entrent » désormais dans la gare et renouvellent le paysage commerçant sur les parvis (Saint-Malo, Lorient).

     Selon le type de gare et la hiérarchie urbaine dans laquelle il se situe, les activités commerciales offrent un panel étendu d’enseignes spécialisées, cossues ou banales, de consommation lente (flânerie, achats impulsifs) ou rapide (snacking, fast food), surreprésentées par les secteurs de l’équipement de la personne (Parfois à Rennes) et celui de la restauration. Hormis quelques restaurants, la part de la vente à emporter dans les gares est plus élevée dans la mesure où ces établissements s’accommodent mieux de locaux aux petites surfaces. Aussi, les services bancaires, de téléphonie, les pressings, les salons de coiffure ainsi que les casiers de retrait, font leur apparition dans les halls de gare ces dernières années ; ils répondent particulièrement à la demande des voyageurs pendulaires.


    Alors que la marchandisation des gares se généralise, s’ajoutent désormais aux activités traditionnelles (café, presse, alimentation de quartier) des commerces plus diversifiés (restauration d’entreprises, food truck) et surtout de standing supérieur (brasserie, location de voitures, lieux événementiels, conciergerie, etc.), complétés de services inédits (crèches, salles de sport). Ainsi, Christian Le Squer, chef triplement étoilé au guide Michelin, a ouvert un restaurant gastronomique, le Paris-Brest, en gare de Rennes. De même, l’hôtellerie de chaîne ou indépendante se renforce et monte en gamme à proximité immédiate des gares (parvis nord du Mans, côté centre-ville). L’implantation récente de nouvelles enseignes franchisées d’hôtellerie et d’une résidence hôtelière sur le parvis nord et est de la gare du Mans illustre à la fois ce processus de renforcement de l’offre et le développement d’un niveau de standing supérieur (généralisation des trois étoiles) à celui des établissements préexistants.


Des processus de requalification urbaine favorables au commerce

    Ce renouveau commercial et des services, dans ou autour des gares, renforce la centralité de l’agglomération mais aussi celle du ou des quartiers requalifiés environnants. Ce processus de consolidation de la centralité à l’œuvre aujourd’hui s’appuie également sur la combinaison des nœuds physiques de transport et des réseaux numériques d’information (e-commerce).

    En effet, la transformation actuelle des activités marchandes de gare renforce le commerce de transit, traditionnellement implanté sur les flux piétons, dans les halls d’attente, ou sur les itinéraires de déambulation entre gare et stations de métro, bus, taxis, vélos, etc. Le hall de gare et ses prolongements intérieurs et extérieurs sont de plus en plus convoités par le commerce, du fait de la hausse de la fréquentation directe ou indirecte des gares par des voyageurs considérés désormais comme des clients potentiels. Ainsi, l’ouverture de la Ligne à Grande Vitesse Bretagne – Pas de la Loire (LGV BPL), celle des Ouigo à l’été 2019, la généralisation des pôles d’échanges multimodaux (PEM), la création de nouvelles lignes de Transports en Commun en Site Propre (TCSP) à Rennes ou au Mans – métro, bus - puis l’augmentation du cadencement des TER dans l’aire d’attraction mancelle du fait du contournement de la LGV précitée, etc., représentent des facteurs recherchés de relocalisation du commerce et des services marchands au plus près des flux massifiés d’usagers.

    De fait, la gare devient un point de convergence de flux interurbains de différents horizons dont l’enjeu d’aménagement principal consiste localement à favoriser des multimodalité et intermodalité efficaces (L’Hostis & al.,2009 ; Wang, Yuan & Duan, 2018). Un pôle d’échanges multimodal bien conçu permet de limiter la durée de la rupture de charge tout en optimisant le temps de déplacement en y greffant d’autres activités (travail, chalandise, services, etc.). Ce processus social s’appuie sur la capacité croissante des individus à tirer parti de leur temps et de leurs déplacements, ce qui renforce la dimension économique stratégique des gares (Boquet, 2010). Ces voyageurs sont ciblés par le commerce dit « de transit », qui vise à capter les consommateurs directement sur leur trajet. La gare doit désormais combiner fluidité maximale et utilisation presque ininterrompue de l’espace-temps du trajet de l’usager.

    L’acte d’achat est encore optimisé par l’expérimentation de nouveaux types de commerce qui reposent à la fois sur la digitalisation des enseignes traditionnelles (store to web[1]), sur l’implantation en boutiques des plateformes de l’e-commerce (web to store[2]), de plus en plus présentes physiquement sur ces nœuds ferroviaires (consignes, point-relais chez un commerçant, associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (Amap) connectées qui livrent, sur le parvis de la gare d’Angers, les paniers de fruits et légumes commandés la veille par les consommateurs internautes.

    Ainsi, une consigne de colis Amazon est en projet dans la gare de Nantes ; Blue Distrib (Cdiscount et Bolloré) envisage de créer un réseau de consignes approvisionnées par des véhicules électriques au Mans ; Dropbird complète ses expérimentations de marketplace en permettant aux consommateurs de déposer leurs achats réalisés en ligne dans la future consigne de la gare de Rennes.

    Finalement, la double hybridation des gares est en marche : urbaine et fonctionnelle (commerces et services) d’une part, physique et numérique d’autre part. Selon des contextes territoriaux plus ou moins favorables, la gare devient un moteur de renouvellement des tissus péricentraux, un laboratoire d’expérimentations économiques, notamment commerciales, le creuset d’une centralité fondée sur des connexions multimodales. Pour autant, ces processus apparentés à ceux des gares parisiennes demeurent soit incomplets, soit transposés de façon mesurée dans les villes intermédiaires et moyennes de province. Comme le rappelle Émilie Roudier (2019), « l’urbanisme de gare des villes moyennes est presque toujours le fruit d’un dosage entre choix volontaristes et contraintes subies ». Notamment, ces contraintes ont trait au risque plus prononcé de concurrence commerciale avec les centres-villes, aux difficultés de trouver des financements et des investisseurs privés, moins nombreux que dans les métropoles, à la nécessité de recourir, ce faisant, aux acteurs publics (État, Région, etc.) pour mettre en place les principaux leviers de la régénération en projet. Toutefois, l’implication des acteurs n’est pas conditionnée à la taille des villes (Roudier, ibid.). Ces opérations de restructuration des gares s’appuient toutes sur des dispositifs multi-partenariaux dont le rapport public-privé varie d’un site ferroviaire à un autre, ne serait-ce qu’en termes de propriété foncière (particuliers, branches de la SNCF, commune, État, etc.).


b. Une nouvelle gouvernance de projet : la mise en commerce ferroviaire des acteurs publics et privés

    De nombreux acteurs concentrent massivement leurs investissements dans les opérations de transformation des gares et des quartiers de gare : aménageurs, investisseurs, distributeurs, exploitants de centres commerciaux et de surfaces commerciales (via la filialisation de la SNCF et notamment la création de Retail & Connexions), agences spécialisées dans l’urbanisme du rail (AREP), et développeurs tel Déméter, qui investit 20 millions d’euros dans une douzaine d’enseignes implantées dans la gare de Rennes sur plus de 2 000 m2 de surfaces de vente. La gare est de plus en plus considérée comme un grand équipement emblématique d’une métropole ou ville dynamique et attractive, générateur de valeur. Depuis les parvis redessinés ou restructurés (Lorient), l’aménagement de nouveaux espaces publics paysagers et de cheminements doux inter-quartiers orientent logiquement les flux piétonniers d’usagers de la gare vers le centre-ville selon un processus de couturage intra-urbain entre le quartier péricentral remodelé et l’hypercentre (Nantes). Progressivement, la gare devient un équipement de centre-ville ; à défaut, elle marque une centralité d’agglomération, départementale ou régionale selon les cas, par son rôle réactivé de porte urbaine et sa capacité à attirer des investissements, des entreprises et des usagers. Le commerce illustre ici à la fois le processus de commercialisation des gares à partir d’acteurs spécifiques et celui de stratégies diversifiées d’optimisation territoriale.

 


[3] Store to web : pratique visant à renvoyer les clients d’une enseigne vers son site e-commerce pour l’achat d’un produit non disponible en magasin.

[4] Web to store : pratique visant à attirer les clients internautes d’un site e-commerce vers les boutiques de l’enseigne.



Acteurs et commerce de gare

        De nombreux entrepreneurs perçoivent dans la transformation des quartiers de gare l’émergence de territoires de grande centralité grâce à l’accessibilité censée optimiser leur compétitivité ou leurs stratégies d’implantation (Delage, 2016 ; Nègre, 2018). Ainsi s’explique l’implantation croissante d’activités tertiaires et de centres d’affaires à proximité immédiate des gares desservies directement ou indirectement par la LGV (Baudelle & Nègre, 2016).

Le commerce renouvelé comme levier aménagiste et opérationnel de la restructuration des gares révèle la construction d’une nouvelle gouvernance de projet à partir d’une politique de filialisation de SNCF Gares & Connexions et d’un partenariat public-privé innovant. SNCF Gares & Connexions détient la responsabilité de la conduite des opérations menées sur l'ensemble des gares, de la conception à l'exploitation et à la commercialisation de ses espaces immobiliers et fonciers. De ce fait, le développement des commerces en gare offre à SNCF Gares & Connexions une source de revenus externes au système ferroviaire de 250 M€ en 2020 (y compris publicité et parkings). Pour Toulouse-Matabiau, l’opérateur prévoit de tripler la surface commerciale disponible en créant une galerie commerciale au centre de la gare (+ 2 700 m2 de commerces), entre les deux halls, et un espace de circulation piétonne plus large pour fluidifier le parcours client.

    Pour la SNCF, le principal enjeu s’appuie d’abord sur une volonté de diversifier ses investissements et de valoriser financièrement les surfaces internes de ses gares jusqu’ici peu exploitées. C’est ainsi que SNCF Retail & Connexions, filiale à 100 % de la SNCF devient gestionnaire des espaces commerciaux de plus de 3 000 gares françaises en assurant les diverses tâches de conception, d’études de projets, de commercialisation, d’exploitation commerciale et d’encaissement des loyers. La filiale adapte aussi les concepts des enseignes et assure la gestion contractuelle auprès des distributeurs. À cet égard, les modalités d’implantation d’établissements de commerces en gare restent souples et sans paiement de droit d’entrée. Les Autorisations d’Occupation Temporaire (AOT) permettent alors un renouvellement régulier et rapide de l’offre. Par ailleurs, le fait que le réaménagement de la gare puisse offrir une proximité circulatoire (Paché, 2006) et un accès facilité aux services et commerces in situ (Deprez & Gasnier, 2016) suscite également l’intérêt des sociétés foncières ainsi que celui des promoteurs de l’immobilier commercial compétents sur ce sujet : la Compagnie de Phalsbourg impliquée dans l’opération de renouvellement urbain de la gare de Toulouse-Matabiau, Altaréa Cogedim pour la restructuration de la gare de Paris-Montparnasse (conception, réalisation et exploitation de ses espaces commerciaux sur une durée de 30 ans) ou encore Klépierre pour celle de Saint-Lazare. La gare 2.0[1] (Fig.1) devient à la fois un hub multiscalaire, du quartier au métropolitain, et un espace de vie multifonctionnel réunissant espaces de travail, lieux d'échanges, de services et de commerces (Buron, 2021). Cette multifonctionnalité émergente des gares et de leurs quartiers d’implantation symbolise également des ambitions européennes pour des métropoles nationales et régionales capables ainsi d’augmenter leur attractivité : Marseille EuroMéditerranée, Toulouse EuroSudOuest ou EuroRennes.

    Enfin, la gare devient un laboratoire d’expérimentation de nouveaux concepts marketing pour les distributeurs et les commerçants. Les enseignes testent alors de nouvelles offres (Monop station dans la gare de Chartres et de Strasbourg) en s’adaptant aux contraintes spécifiques du site d’implantation (faibles surfaces des locaux commerciaux) ou en ciblant précisément la gare dans une stratégie de différenciation territoriale pérenne (Palais des thés à Lille-Flandres) ou éphémère (Tesla en gare de Lyon, le caviste Perrin en gare d’Avignon). De plus, « bénéficiant d’une densité de flux très élevée, les commerces des gares réalisent des performances au mètre carré qui dépassent largement celles relevées dans les centres commerciaux pour la même typologie d’activité (+ 50 à 80 % de CA) », rappelle l'étude de Cushman & Wakefield (2018)[2]. De ce fait, les exploitants de surfaces commerciales de gare perçoivent des loyers plus élevés (50 à 100 %) que dans les centres commerciaux ; le foncier des gares devient ainsi un modèle financier lucratif.


Stratégies d’optimisation des territoires de la gare

    Tous ces acteurs précités suivent des stratégies d’optimisation foncière, immobilière et commerciale singulières. 

    Tout d’abord, SNCF Gares & Connexions attribue une convention ou autorisation d’occupation temporaire du domaine public ferroviaire au concédant dans le cadre d’un appel d’offres stipulant une durée d’exploitation à l’instar d’un droit au bail emphytéotique. Cette manne financière pour SNCF Gares & Connexions s’appuie, depuis 2015, sur une nouvelle branche dédiée à la gestion d’actifs immobiliers et sur un changement d’échelle opérationnelle : obtenir des revenus immobiliers en commercialisant le foncier disponible autour des gares (immobilier de bureaux, hôtellerie, nouveau parvis de commerces à Saint-Malo, etc.). Les concessions sont variées et innovantes sur le plan commercial : elles portent le plus souvent sur les commerces – boutiques mais aussi, désormais, sur des formats d’hybridation commerciale tels les consignes (Amazon, Pick up) et les distributeurs automatiques. Demain, l’optimisation financière des ressources foncières de la SNCF pourra concerner les nouveaux acteurs de la logistique urbaine, les plateformes locales de l’e-commerce et notamment les gestionnaires de Marketplace : Dropbird est sur le point d’installer une consigne approvisionnée en petits véhicules électriques de livraison dans la gare de Rennes pour permettre au consommateur de récupérer les produits achetés auparavant dans le centre-ville ou ailleurs avant de prendre son train. Il s’agit alors de compléter les aménagements de mise en connexion physique (PEM, accessibilité ferroviaire) par des dispositifs techniques permettant de développer au sein des gares les modalités de connexion numérique utiles au commerce et à d’autres fonctions.

En outre, SNCF Retail & Connexions optimise le foncier et l’immobilier de la SNCF selon le principe de dé-re-fonctionnalisation des gares par agrégation fonctionnelle, par densification en commerces et services des anciens halls d’attente ou des passages souterrains d’accès aux quais transformés. En parallèle, la concentration et la diversification de commerces sont liées à celles d’autres services également générateurs de flux de nouveaux chalands potentiels : points service, points livraison, crèches, VOD à télécharger à partir de bornes interactives, clubs de sport, espaces d’exposition, etc. fonctionnent alors de manière itérative avec le commerce. En même temps, les clientèles se diversifient elles aussi, partagées entre voyageurs, habitants, actifs et touristes.



 
[1] Le « quartier de gare 2.0 » est une évolution du quartier de gare traditionnel (version 1.0). Il se caractérise par une montée en gamme des services et équipements, une requalification et une rénovation de l’espace public et du bâti aux abords de la gare. La présence d’immeubles résidentiels et de bureaux, de services et commerces de transit et de proximité, l’émergence du numérique ainsi qu’une offre diversifiée de transports (pôle d’échanges multimodal) dans et autour de la gare participent au caractère résolument multifonctionnel du quartier. Ce dernier, ainsi rénové et requalifié, est désormais tourné vers une économie quaternaire (Debonneuil, 2017).


[2] Cushman and Wakefield (2018). Les Commerces en Gare ont le vent en poupe - Travel Retail : https://www.cushmanwakefield.com/fr-fr/france/insights/les-commerces-en-gare-travel-retail


     Enfin, si l’optimisation des chiffres d’affaires est bien réelle pour les enseignes implantées, excepté durant la période de pandémie que nous venons de traverser où les flux de voyageurs se sont taris dans les gares, les opérations de renouvellement urbain réalisées ou en cours permettent aux gares de jouer un nouveau rôle structurant dans la ville. Celles-ci s’opèrent en régénérant un tissu urbain péricentral vieillissant, dégradé et souvent monofonctionnel (centres d’affaires, quartiers résidentiels) depuis la mise en service des TGV durant les années 1990, ce qui correspond au modèle de la gare 1.0[1], dit « classique ». SNCF Gares & Connexions, accompagnée prospectivement par les acteurs publics (Régions, collectivités territoriales et locales), tire ainsi profit d’opportunités foncières, d’espaces en attente d’urbanisation, parfois encore de quelques anciens sites industriels ou logistiques fermés pour renverser la tendance de déprise en territoire de redynamisations économique et urbaine.

    Cependant, les stratégies des sociétés foncières et des promoteurs de l’immobilier commercial sont à différencier et à contextualiser selon que leurs investissements soient métropolitains ou non. La centralité aussi bien urbaine que commerciale, associée au rôle de nœud central de connexion, renforce la requalification de la gare de Rennes et ses abords. Les stratégies à l’œuvre valorisent notamment les investissements des professionnels de l’immobilier qui misent clairement sur le haut de gamme résidentiel, tertiaire et commercial. Toutefois, un phasage de ces constructions a été planifié pour ne pas saturer l’offre in situ et sur d’autres quartiers rennais.

    Ainsi, ces quartiers renouvelés ou en cours de renouvellement dans les métropoles régionales participent à renforcer la polarisation marchande, hôtelière et de services en cœur de ville contribuant ainsi à limiter l’évasion commerciale suburbaine. Le long d’une LGV ou à proximité, les gares tendent à devenir des équipements de redynamisation des quartiers centraux et péricentraux et des relais de croissance cinq fois supérieurs aux centres commerciaux pour les enseignes implantées sur ces pôles de transit. Et c’est bien là le cœur de la stratégie de ces acteurs immobiliers privés : reconvertir de petites surfaces de l’ancien hall de gare en locaux commerciaux supposés très rentables du fait de leur connexion à des flux importants et diversifiés de voyageurs parmi lesquels figurent des cadres supérieurs qui consomment à la fois des produits courants et anomaux (restauration assise, équipement de la personne, culture-loisirs) identiques à ceux d’un centre commercial. Les rendements élevés des commerces de gare au m2 permettent d’augmenter les loyers ce qui attire de fait les investisseurs. En effet, les commerces dans les gares sont régis par des conventions d’occupation temporaire qui n’intègrent ni la notion de propriété commerciale ni le droit d’entrée. Le loyer est établi en redevance proportionnée au chiffre d’affaires. Les loyers commerciaux d’EuroRennes sont ainsi les plus onéreux du marché rennais (de 2 000 à 4 000 €/m2/an), même si le panier moyen des consommateurs reste encore faible.

    Cependant, pour les opérations de renouvellement urbain des quartiers de gare non métropolitains, les stratégies de ces mêmes acteurs sont différentes. D’abord, la position ultra-périphérique des gares de Bretagne occidentale ne suscite pas le même engouement qu’à Rennes ou à Nantes de la part de Retail & Connexions, des promoteurs et des distributeurs. Ni Vannes, ni Saint-Brieuc, ni Quimper pour le niveau des villes moyennes, ni Brest pour celui des villes intermédiaires, n’ont restructuré leur gare à l’exception de Lorient. Ensuite, les flux plus faibles de voyageurs ainsi que les surfaces plus modestes des bâtiments des gares de cette typologie de villes rendent les investissements moins lucratifs et les concessions - locations trop chères par rapport aux capacités de financement des entreprises, associations ou même des collectivités locales (Roudier, ibid). Ici, les fonds et services publics, notamment extérieurs, sont davantage recherchés et priorisés pour pallier localement le manque d’investisseurs privés, en permettant quand même d’impulser un changement d’image de la gare et de son quartier.

Alors, le mimétisme vis-à-vis des gares parisiennes en régions varie selon les contextes.


Certes, il est lié aux effets de taille des villes et de la métropolisation régionale (Nantes et Rennes), mais il dépend surtout des effets locaux et du contexte socio-économique des villes desservies directement ou non par une LGV.


 
[7] Le « quartier de gare 1.0 » correspond à l’espace du quartier de la gare hérité de son passé industriel. Il s’agit d’un secteur de la ville plutôt populaire et peu prisé. À ce titre, il présente des bâtiments et des commerces aux façades et aux vitrines défraîchies donnant sur un espace public terni. L’espace de la gare marque une rupture dans le tissu urbain avec les quartiers situés de part et d’autre des voies ferroviaires. Il est caractérisé par une vétusté de son tissu urbain et une obsolescence de ses fonctions économiques comme en témoigne la présence de nombreuses friches (industrielles et ferroviaires). Celles-ci offrent néanmoins une réserve foncière considérable souvent située dans le cœur d’une agglomération et sont le catalyseur de sa réhabilitation (voir quartier de gare 2.0).

     II.       AU PRISME DU COMMERCE, DES TYPES DE GARES ET QUARTIERS DE GARES DIFFERENCIES


     Dans le Grand Ouest français, la mise en service de la LGV Bretagne – Pays de la Loire entre Connerré (à 25 km à l’est du Mans) et Rennes, le 2 juillet 2017, a refondé les paramètres d’accessibilité ferroviaire (Nègre, 2018) pourtant déjà impactés par la LGV Atlantique en 1989. Si les effets d’une LGV s’avèrent complexes à mesurer (Billard & Bertrand, 2018), l’approche par le commerce permet toutefois d’observer les mutations à l’œuvre dans les gares et leur quartier. Les résultats présentés reposent sur un travail d’identification des mutations commerciales dans les quartiers de gare du Grand Ouest entre 2016 et 2021. L’étude s’appuie sur des analyses cartographiques (BD Ortho© et BD Topo© produites par l’IGN) et sur un référentiel photographique constitué en 2015 et 2021. Le relevé des commerces a été réalisé grâce à la Base Permanente des Équipements (BPE) de l’INSEE et aux enseignes enregistrées dans les Pages Jaunes, données vérifiées ensuite sur les terrains d’étude durant ces dix dernières années grâce à la mobilisation du site Google Maps et de son outil StreetView.


     En Bretagne et Pays de la Loire, force est de constater que ces mutations se sont accélérées avec la Grande Vitesse Ferroviaire (GVF), enclenchant directement ou indirectement des dynamiques multiformes de régénération commerciale. C’est le cas dans l’ensemble des villes bretonnes et ligériennes observées dans le cadre de l’Observatoire socio-économique de la LGV BPL (2012 - 2022), dont Rennes, Saint-Malo et Le Mans traduisent des dynamiques singulières de recomposition. Le processus de régénération et de diversification économiques dans les gares et quartiers de gare s’observe malgré un contexte géographique contrasté et un rapport différencié à la Grande Vitesse : Rennes est desservie par le TGV en 1992 puis par la LGV BPL en 2017 ; Saint-Malo profite du TGV depuis l’électrification de la ligne Rennes – Saint-Malo en 2005 ; Le Mans, quant à elle, accède à la Grande Vitesse en 1989 grâce au TGV-Atlantique.


a.          Rennes : une centralité métropolitaine en croissance

     Si Rennes bénéficie d’une desserte TGV ayant conduit à une première requalification de la gare au début des années 1990, elle ne dispose de la Grande Vitesse que depuis la mise en service de la LGV BPL à l’été 2017. Dès 1992, la gare de Rennes a été entièrement reconstruite, en intégrant surtout des éléments en faveur de la tertiarisation de l’économie axée principalement sur l’immobilier de bureau. Une première réflexion autour de l’aspect multimodal des gares se traduit par l’intégration d’une ligne de métro, réalisée à la fin des années 1990. Cette première génération de gares TGV induit un début de verticalité avec le développement de bâtiments de grande hauteur et la création d’un passage souterrain permettant de faciliter les flux à l’intérieur de la gare, mais également avec les quartiers environnants. En revanche, la part donnée au commerce est alors relativement faible, ce dernier restant cantonné aux boutiques traditionnelles rencontrées dans les gares et leur quartier (billetterie, presse, commerces populaires, etc.).

     Plus tard avec le prolongement de la LGV Atlantique, la gare de Rennes se métamorphose une nouvelle fois en prenant place dans le projet EuroRennes qui apporte non seulement davantage de verticalité architecturale mais aussi une couture horizontale des circulations nord/sud. Le commerce entre alors en gare selon une stratification à plusieurs niveaux, accompagnée d’une montée en gamme à mesure que l’on gravit les étages. Les espaces souterrains sont réservés aux services et aux commerces (billetterie, distributeurs de boissons et de nourriture), reprenant ainsi le modèle de la gare classique. Le rez-de-chaussée est, quant à lui, consacré aux transports de surface (accès au bus, taxi, location de voiture), à la restauration rapide (McDonald’s), à des points de collectes (commandes en ligne) et de billetterie. Le niveau supérieur caractérise un changement d’ambiance : le revêtement de sol, plus qualitatif, est soigné (Photo 1). Il souligne des lieux d’attentes plus confortables. Les espaces, plus lumineux, dévoilent une galerie marchande proposant des commerces habituellement présents dans les centres-villes et dans les centres commerciaux situés en périphérie des villes (maroquinerie, parfumerie, café, agence bancaire, cafétéria, épicerie fine, etc.) (Tab.1). Enfin, le dernier étage dévoile un restaurant (Paris Brest) prenant place sur deux niveaux ainsi que le salon Grand Voyageurs.

     Par ailleurs, l’architecture de la gare, pensée comme « un paysage construit », parachève le couturage des quartiers nord et sud. Ceci a pour objectif d’atténuer la rupture urbaine générée par la présence des voies de chemin de fer et le dénivelé entre les deux rives. Cette conception redonne alors de la perspective paysagère en allégeant le bâtiment de la gare. En effet, ce dernier apparaît épuré en raison de l’absence de mobilier urbain réduit au strict minimum (candélabres stylisés), quand la génération précédente de gare renforçait au contraire la visibilité d u bâtiment voyageurs. Plus loin, la redistribution de l’espace public favorise l’essor d’une approche multimodale du déplacement et contribue à la rénovation des revêtements des rues adjacentes qui donnent sur la gare ainsi qu’à une réfection des façades des immeubles et maisons de ville de ce quartier. Cette montée en gamme de l’espace public donne un souffle nouveau au commerce en le régénérant et en le confortant : la carte d’évolution des commerces dans le quartier de la gare de Rennes (Fig.2) montre la stabilité des commerces depuis 2009 et l’absence quasi-totale de vacance des locaux d’activités en rez-de-chaussée, à proximité du nouveau parvis rennais.

Ce soin particulier apporté à la gare et à ses environs conforte le quartier comme espace de centralité.

b. Saint-Malo : une centralité de ville moyenne renforcée, opportuniste mais lente


     Le cas de Saint-Malo apparaît comme un exemple singulier dans la manière dont la ville a procédé pour renforcer la composante commerciale de son quartier de gare. La cité malouine n’est pas directement concernée par le prolongement de la LGV vers la Bretagne, mais bénéficie malgré tout d’une réduction de son temps de parcours de 37 minutes vers ou depuis Paris via Rennes. Pour autant, la ville n’a pas attendu la mise en service de la LGV BPL pour entamer un projet de renouvellement urbain visant à replacer la gare de Saint-Malo au centre des trois anciennes communes (Saint-Malo, Saint-Servan et Paramé) aujourd’hui fusionnées. La ville s’est en effet saisie de l’électrification de la ligne Rennes – Saint-Malo en 2005 pour reconstruire sa nouvelle gare 260 mètres en arrière de l’ancienne implantation du bâtiment voyageurs. Ce recul a permis de dégager 55 000 m2 de foncier pour aménager un nouveau parvis plus étendu et aéré, un PEM (pôle d’échanges multimodal), un Palais de Justice et une médiathèque (La Grande passerelle), ceinturés de 330 logements intégrés dans de petits immeubles collectifs. De plus, la réalisation d’une troisième voie de circulation permet de relier le sud et le nord de la gare de Saint-Malo. L’implantation d’un linéaire de nouveaux commerces en rez-de-chaussée, ouverts sur la place, a également vu le jour sur ce nouveau parvis de la gare, réduisant cette dernière à sa fonction première. L’enseigne de presse (Relay) et le service de location de véhicules (Avis), seuls présents dans la gare de Saint-Malo, contrastent avec les 26 nouveaux commerces présents sur le parvis requalifié de la gare (Fig.3).

L’ancien front de gare historique, matérialisé par la rue Anita Conti, demeure constitué de commerces traditionnels (hôtels, bistrots, cafés) aux façades défraîchies. La toponymie encore visible sur site rappelle l’emplacement historique de l’ancienne gare : « Hôtel des voyageurs », « Maison du Peuple », « Union des syndicats », « Hôtel terminus ». Si la gare se réduit à sa plus simple expression (un abri desservant les quais), le quartier de la gare quant à lui a bénéficié d’une opération de restructuration urbaine volontaire dont le principal objectif est de construire un pôle de centralité d’agglomération. 

Gare routière et autocars jouxtent également ces récents aménagements et consacrent la gare en tant que pôle d’échanges multimodal.

    Le processus de renouvellement du quartier de la gare malouine s’inscrit dans la durée, puisque les futurs programmes de réaménagement des espaces publics viseront à améliorer, par des liaisons douces, le cheminement entre la gare, la cité intra-muros et le port, consolidant ainsi le rôle de la gare terminus comme porte d’entrée touristique régionale. Aussi, l’aménagement de coulées vertes à proximité de la gare illustre une politique de reconquête des anciennes voies ferroviaires ; l’objectif à terme étant de désenclaver la partie est du quartier.

c.  Le Mans : une centralité de ville intermédiaire affaiblie, en recomposition lente


     Parmi les trois cas d’études proposés ici, la gare du Mans a été la première à bénéficier de la Grande Vitesse en 1989 avec la mise en service de la LGV Atlantique. Le quartier de gare du Mans figure donc parmi les premiers exemples français d’opérations de requalification urbaine directement adossées à la desserte d’une Ligne à Grande Vitesse. Dès la fin des années 1980, le réaménagement des abords de la gare TGV traduit l’émergence du nouveau quartier d’affaires Novaxis, édifié au sud de la gare en lieu et place de friches industrielles nombreuses. La tertiairisation de l’économie mancelle est entamée à partir de 1989 par la construction de 7 400 m2 de bureaux et 3 140 m2 de commerces (Chevalier, 1997). Devenu sur cette période un lieu d’implantation massive d’entreprises tertiaires (Mutuelles du Mans Assurances, Smith and Nephew, SESAM-Vitale, etc.), le quartier de gare continue de s’imposer comme la vitrine d’une ville engagée dans un processus de tertiarisation de son économie longtemps dominée par son tissu industriel. L’arrivée du tramway au Mans en 2007 marque une deuxième phase de requalification de la gare et de ses abords, même si l’opération Novaxsud lancée en 2006, n’est pas encore achevée. L’élévation du bâti (huit nouveaux bâtiments construits en dix ans) témoigne de l’intensification et de la diversification de l’occupation des sols aux abords sud de la gare. Environ 40 000m2 de bureaux, plus de 1 600 m2 de commerces et des centaines d’appartements ont ainsi été aménagés. Côté nord, l’arrivée du tramway a également contribué à la requalification du parvis côté centre-ville : ce dernier se compose désormais d’une grande esplanade minérale dévolue prioritairement aux piétons, d’un parking fermé pour vélos, d’une gare routière accueillant les bus interurbains de la Sarthe tandis que l’ensemble est desservi par plusieurs arrêts du réseau de transport urbain (tramway, bus à haut niveau de service, bus). Le bâtiment historique de la gare, quant à lui, s’efface derrière une verrière construite sur la face nord, reliant la station de tramway, le bâtiment voyageurs et la station de bus et de taxis. La mise en service de la LGV BPL en 2017 apporte peu de changement en matière d’aménagement urbain et d’implantation commerciale (Fig.4), sans doute parce que le prolongement de la LGV a moins d’enjeux qu’en 1989 : la ville profite de la Grande Vitesse depuis plus de trente ans, son quartier de gare est arrivé à maturité, et le temps de parcours pour rejoindre la gare Montparnasse reste le même (55 minutes). Seul le contournement du tracé LGV au nord du Mans, permettant de relier Rennes à Paris plus rapidement, suscite quelques inquiétudes, notamment sur la question de la desserte et de son impact sur le territoire manceau.

     Avec ses cinq millions de voyageurs par an en gare, ses fonctions de nœud multimodal, ses commerces, services, emplois et logements, le quartier de gare du Mans s’impose comme un lieu de convergence des flux, de consommation et de vie essentiel pour la ville. Pour autant, même si la ville du Mans fut l’une des premières gares à être desservie par la Grande Vitesse, elle ne semble pas avoir su capitaliser sur cet atout pour développer le commerce au sein de la gare et de son quartier (Buron, 2016). À ce jour, les quelques 400 commerces et services recensés dans le périmètre du quartier de gare se répartissent plutôt de manière uniforme (48 % au nord, 52 % au sud). Les équipements historiques présents dans les quartiers de gare (hôtels, cafés et restaurants, petites boutiques) sont plutôt situés au nord, tandis qu’au sud, se localisent davantage les services propres à la finance et au secteur tertiaire (banques, assurances, services aux entreprises). Les commerces de proximité sont également présents au sud-est de la gare, dans un tissu urbain à dominante résidentielle. Les locaux commerciaux situés en front de rue face à la gare sont vacants (Photo 4 et Fig.4), tandis que deux nouveaux commerces entrent timidement dans la gare (Paul et Carrefour Contact).

     Vue par le prisme du commerce, la réhabilitation de la gare du Mans et de son quartier semble davantage résulter d’une logique d’aménagement au coup par coup que d’un véritable projet urbain. La réhabilitation uniquement résidentielle de l’ancien hôpital psychiatrique Étoc Demazy, au sud de la gare, en est un exemple.

Conclusion


     Avec plus ou moins de vigueur, les trois études de cas appréhendées démontrent une généralisation des processus de régénération et de diversification économiques des quartiers de gare. Par ailleurs, les dynamiques commerciales observées dans les opérations de renouvellement urbain en cours de ces quartiers révèlent trois types de régénération.

     Le type métropolitain (Rennes) confirme les effets directs positifs de la LGV au sein d’une démarche globale opérationnelle de grande ampleur et selon des processus de refonctionnalisation interne et externe à la gare, de recyclage d’espaces et d’intensification des usages notamment liés aux locaux commerciaux créés en gare, mais aussi réhabilités (encore ponctuellement) devant le parvis. Les dynamiques commerciales et celles du système d’acteurs en place sont ici très proches de celles des gares parisiennes (effet de hiérarchie urbaine) mais proportionnées à la taille de la ville.

     Le type ville moyenne touristique (Saint-Malo) conforte ces effets indirects positifs de la LGV dans une démarche de recul de la gare, d’aménagement d’un nouveau parvis bordé de commerces, logements, d’un équipement culturel et de son retournement vers le centre-ville et d’autres centres de quartiers. La transformation progressive d’une polarité en centralité est en marche. L’implantation de nouvelles activités commerciales sur le parvis en apporte la marque la plus visible. Toutefois, la dynamique opérationnelle reste circonscrite à quelques îlots bordant la nouvelle gare à ce jour, aidée en cela par sa fonction touristique.

     Enfin, le type grande ville moyenne contournée (Le Mans) illustre le cas d’une revalorisation ancienne du quartier de gare issue de la première génération du TGV. Sans affirmer que les effets indirects de la LGV soient profondément négatifs, le réaménagement de ce site ferroviaire est lent et discontinu depuis ces trente dernières années. Le système économique local explique en partie cet état : effets de coupure entre gare et quartiers centraux, baisse de l’attractivité d’entreprises in situ, rétractation commerciale du cœur de ville en défaveur des îlots de quartiers positionnés à proximité du parvis, maintien d’un nombre élevé de locaux commerciaux vacants, etc.

     Sur le plan commercial, les effets économiques et urbains de la LGV demeurent contrastés dans les quartiers de gare. Il est à noter une distanciation vis-à-vis du cas parisien en raison de contextes géographiques régionaux et locaux singuliers et d’enjeux aménagistes différents qui produisent des déclinaisons variées du modèle de transformation des gares parisiennes. S’ajoutent à cela des effets de temporalité et de génération de la Grande Vitesse Ferroviaire depuis l’ouverture des lignes TGV de première et de seconde génération.

 

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p.15 - 2008
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